En ce mois de Ramadan, doublé du Carême chrétien, le poisson se fait de plus en plus rare dans les marchés. Une situation pénible pour les petites mains de la filière, mais surtout pour le panier de la ménagère. Les facteurs environnementaux ou économiques sont avancés comme principales causes de cette rareté du poisson. Quelques professionnels du milieu, très inquiets, ne savent plus à quel saint se vouer.
Afin de mieux cerner les contours de cette crise, nous avons interrogé certains acteurs du milieu. Première étape de cette immersion, la commune de Dixinn, au port de pêche artisanale de Landreah, l’un des plus importants de la ville de Conakry. Sur les lieux, des pêcheurs, assis sous une baraque, à l’abri d’un soleil caniculaire, s’occupent comme ils le peuvent. Pas besoin d’observer longtemps pour comprendre que les activités sont au ralenti.
Le temps semble figé à cet endroit où filets de pêche, pirogues endommagées et tas d’ordures cohabitent.
Nous approchons l’un d’entre eux, Kamodou Touré, qui ne s’est pas fait prier pour expliquer la situation de son secteur d’activité. Sur un ton défaitiste, son constat rime avec amertume. Au port de Landreah, c’est la pénitence pendant ce mois saint.
« C’est très difficile en ce moment, depuis le début du Ramadan, nous n’avons pas de poisson de qualité. Le poisson qu’on pêche est très petit. Seulement, ces deux derniers jours, nous avons observé une légère amélioration. Nos pirogues sont endommagées depuis le début du Ramadan. Ce sont ces pirogues que vous voyez là. La vérité, il n’y a pas de poisson. S’ils peuvent nous aider, qu’ils le fassent. Depuis le début du Ramadan, c’est compliqué. Tu paies 20 litres de carburant, tu reviens avec deux casiers de poisson qui coûtent chacun 70.000 GNF, je vous laisse imaginer la suite”, se lamente le pêcheur.
D’ailleurs, le constat de Kamodou sur cette rareté ne remonte pas seulement au début du ramadan ou du carême. Depuis plusieurs mois déjà, la mer se montre moins généreuse.
“Le Ramadan n’est pas une exception, le poisson se fait rare depuis plusieurs mois. On ne trouve que du bonga (poisson ethmalose) de temps en temps, les autres espèces sont introuvables depuis de nombreux mois. Un sac de bonga est vendu entre 70.000 GNF et 80.000GNF, le prix varie selon la taille du poisson. Mais en ces temps, ils sont tellement petits qu’on ne peut les vendre qu’à ce prix », explique-t-il.
« Les autorités doivent davantage réguler ce secteur »
En plein entretien avec Kamodou finir, nous sommes soudain interpellés par le chef du port, connu sous le sobriquet de “Abou Chinois”, qui en avait apparemment gros sur le cœur. « Je suis dans le milieu de la pêche depuis des décennies. Quand vous venez ici, il faut nous donner la parole. En réalité, il n’y a plus de poisson dans nos eaux, il faut un repos biologique de longue durée à nos eaux. Les autorités doivent réguler ce secteur. C’est la pagaille totale. Sous d’autres cieux, les décideurs ont pris leur responsabilité, on devrait s’en inspirer en Guinée », conseille le sexagénaire.
Au marché Avaria, les étals de poisson, autrefois très diversifiés, sont quasi vides. M’mahawa Yansané, vendeuse de poisson, nous a livré son amertume. « La situation est très difficile. Les clients pensent que nous inventons les prix, alors que ce n’est pas le cas. Là où nous prenons le poisson, les prix ont flambé et on donne le poisson par affinité. Cela fait que les rares clients que nous avons ne gagnent plus le poisson avec nous », déplore-t-elle.
« Si le gouvernement ne nous aide pas, je ne vois pas comment on aura du poisson dans nos assiettes. Les femmes souffrent », ajoute sa voisine Hadja Camara.
Une mer surexploitée par les bateaux chinois et coréens
Notre périple nous a aussi conduit à la rencontre de Fodé Idrissa Kallo, secrétaire chargé des affaires extérieures, de la communication et de l’information de la Fédération nationale des pêcheurs artisans de Guinée. Sur la disponibilité du poisson, M. Kallo donne des détails précis. Pour lui, les espèces très prisées manquent sur les marchés, et cette situation amène les gens à penser qu’il n’y a pas de poisson.
« Oui, le poisson est disponible dans les différents marchés. Mais vous savez, l’affaire du poisson est catégorisée. Le poisson le plus disponible, qui est la sardinelle, qu’on appelle communément « Sèri » est disponible dans tous les marchés. Et vous savez, c’est un poisson qui contient de l’oméga. On est habitué aux poissons des berceaux que sont: le sinapa, le kessi-kessi, le bologui… que tout le monde veut dans son assiette. Donc quand ils manquent, les gens disent qu’il n’y a pas de poisson. On rejette les autres espèces, en disant que ce ne sont pas de bons poissons. Et pourtant, ce sont de bons poissons, et ce sont des poissons qui sont même recommandés pour notre santé”, tente-t-il de nuancer.
Toutefois, M. Kallo admet que les Guinéens ont des raisons de se plaindre. “Il faut comprendre aujourd’hui que compte-tenu de beaucoup de facteurs, il y a un manque de ces poissons qui sont beaucoup demandés. Il faut comprendre que ces poissons sont des espèces de berceaux. Il y a des pélagiques, qui sont des poissons de surface. Ce sont des poissons qui vivent sur la surface de l’eau. Les berceaux sont des poissons de fond. Pas tellement au fond, mais au milieu. Au milieu, ce sont des berceaux. Ce sont des poissons qui vivent là. Les céphalopodiers et les crustacés qui sont juste au fond de la mer, il y a une pression qu’on exerce sur ces poissons. Depuis la fin de la coopération avec l’Union européenne, la mer a été récupérée par les Coréens et les Chinois qui procèdent à une surexploitation des ressources. C’est un gros problème », a-t-il révélé.
La pêche artisanale dans les filets coréens
Quant à la rareté des espèces, plusieurs facteurs l’expliquent, selon Fodé Idrissa Kallo.
« L’élaboration du Code de la pêche maritime a dû réglementer et définir certains types de pêche ou des zones de pêche. Donc, ces zones de pêche ont fait que ces navires-là ne peuvent plus opérer et ont fini par quitter. Ces navires coréens ont complètement quitté les eaux guinéennes. Vous ne voyez que des navires chinois qui sont là, et ces Coréens-là se sont convertis maintenant en société de pêche artisanale. Conscients que la pêche artisanale n’est pas interdite sur les côtes, ils sont venus doter des pêcheurs artisans de filets, de moteurs hors-bords pour que ces pêcheurs-là travaillent pour eux. En contrepartie, ils achètent ce poisson pour l’exporter vers l’Asie. Ce phénomène continue jusqu’à maintenant. Ça fait que la rareté du poisson se fait sentir », a-t-il fait constater.
Les bateaux miniers également pointés…
La crise trouve également ses causes dans la dégradation de l’environnement. « Il y a le phénomène du changement climatique aussi. Ça joue sur les lieux de reproduction de certaines espèces. Si tel poisson devait se reproduire au mois de mars et avril, les miniers avec leurs barques polluent la partie, le poisson s’éloigne de la zone, il ne peut plus se reproduire au moment où il devait le faire. Donc quand il ne se reproduit pas à ce moment-là, le cycle est retardé. Le retard fait qu’il n’y a pas vraiment assez de poisson », explique-t-il.
S’agissant du repos biologique suggéré par certains pêcheurs, il est appliqué depuis des années, selon Fodé Idrissa Kallo. Chaque année en effet, le ministère de la Pêche, de l’aquaculture et de l’économie maritime, ordonne une suspension de toute activité de pêche industrielle et semi-industrielle dans les eaux maritimes guinéennes, durant deux mois, afin de favoriser la reproduction des poissons et la survie des espèces.
« Ces deux mois d’interdiction de pêche ne concernent que les navires semi-industriels et industriels. Ils ne pêchent pas durant tous les deux mois. Le nombre de pirogues de pêche artisanale n’a pas atteint les 10.000, nous sommes à 7.000. Donc, on ne peut pas dire que la pêche artisanale est en train d’exercer de fortes pressions sur les ressources. C’est pour cela que la pêche artisanale ne fait pas partie du repos biologique. Seuls les navires semi-industriels et industriels sont interdits », précise-t-il.
La variation des prix sur le marché est très peu comprise par les consommateurs, mais une raison explique ce phénomène.
« Nulle part on ne peut maîtriser le prix du poisson »
« Il faut comprendre que dans le monde entier, le prix qu’on ne peut pas maîtriser, c’est celui du poisson. On peut maîtriser tous les autres prix de denrées de consommation, pour le poisson, ce n’est pas possible. Vous savez, quand l’offre est supérieure à la demande, les prix varient. Vous pouvez trouver le prix du poisson par exemple aujourd’hui à 10.000 GNF, le lendemain vous le trouvez à 7.000, à 5.000. Dans d’autres pays, c’est la vente aux enchères, c’est ce qu’on appelle la vente à la criée.
Dans d’autres pays également, comme au Maroc, quand vous venez, les armateurs sont là et les vendeurs aussi sont là. On dit tel poisson est disponible. Si c’est beaucoup pêché, le prix diminue », rapporte-t-il.
Malgré toutes ces explications, le constat reste implacable. « Il faut reconnaître que le poisson n’est abondant dans nos eaux. Il y a beaucoup de phénomènes aujourd’hui qui ne favorisent pas la reproduction des poissons », a -t-il concédé, en conclusion.
Autant dire qu’il faudra une forte implication des autorités pour trouver des solutions à la rareté du poisson dans les eaux guinéennes. Avec un littoral de plus de 360 kilomètres, la Guinée pourrait ne pas être à l’abri de l’importation de poissons et de fruits de mer.
Mohamed Béné Barry