Depuis quelques mois, des compatriotes et d’anciens collègues me sollicitent pour connaître mon avis sur le projet Simandou. Ma réponse reste mesurée : je ne me sens pas suffisamment informé sur les détails des accords pour en parler en profondeur. Pour moi, il est essentiel de comprendre pleinement les engagements et les implications d’un projet d’une telle envergure avant de pouvoir en discuter de manière constructive. Plus qu’un simple projet minier, Simandou est présenté par les autorités comme un levier de transformation économique et sociale pour la Guinée, nécessitant une approche rigoureuse et une vision tournée vers l’avenir.
Les défis de Simandou
Le gisement de fer de Simandou, souvent qualifié « d’Eldorado du minerai de fer » ou, de manière excessive, de « Pilbara Killer », ainsi que celui du mont Nimba, figurent parmi les plus riches au monde. Simandou se distingue par une teneur exceptionnelle en fer, avoisinant 65 à 66 %, ce qui le rend particulièrement convoité. Sa haute qualité réduit les besoins en transformation, abaissant ainsi les coûts et augmentant sa valeur sur le marché international. Le mont Nimba, avec une teneur en fer estimée entre 60 et 62 %, reste également très compétitif à l’échelle mondiale.
Ces deux gisements représentent donc des ressources stratégiques pour la Guinée. Toutefois, leur exploitation s’est heurtée à des obstacles majeurs qui ont engendrés des retards énormes. Ces ressources stratégiques auraient pu être des moteurs de développement pour la Guinée, mais leur exploitation a été entravée par d’innombrables obstacles, entraînant d’importants retards.
Pour nous, anciens étudiants de la Faculté des mines et géologie de Tamakéné, à Boké, ces projets représentaient un rêve : celui d’appliquer nos compétences, de contribuer au développement national et de bâtir des carrières épanouissantes. Aujourd’hui, de nombreux experts formés dans ces domaines ont pris leur retraite sans voir ces projets se concrétiser, privant ainsi le pays d’un savoir-faire précieux.
Le contenu local : un potentiel inexploité
La Guinée mise sir le « contenu local » pour maximiser les retombées économiques et sociales des grands projets miniers comme Simandou. Mais qu’entend-on réellement par ce concept ? Qui en sont les véritables bénéficiaires ? Et peut-il réellement contribuer au développement du pays ?
À l’origine, dans les années 1990, le terme désignait des contenus produits localement dans les secteurs des télécommunications, du cinéma et de la télévision pour décrire les programmes et les services qui étaient produits localement et qui étaient pertinents pour un public spécifique. Aujourd’hui, il s’applique au développement économique, désignant l’intégration des entreprises, travailleurs et fournisseurs nationaux dans les grands projets. Cela inclut la fourniture de services (restauration, logistique), de matériaux (ciment, alimentation), l’emploi de main-d’œuvre locale et la sous-traitance à des entreprises guinéennes.
En théorie, avec les nombreuses mines en exploitation, le contenu local devrait dynamiser l’économie, créer des emplois et renforcer les capacités nationales. En pratique, son impact reste limité : les contrats profitent surtout à des entreprises étrangères ou intermédiaires, les postes qualifiés reviennent aux expatriés, et les entreprises locales peinent à s’imposer faute de capacités techniques et financières.
Ce modèle, largement inspiré des institutions internationales, réduit les bénéfices pour l’économie guinéenne et freine son industrialisation. Pour en faire un véritable levier de développement, il faut aller au-delà de simples obligations contractuelles : investir dans la formation technique et professionnelle, soutenir les entreprises locales financièrement et managérialement, mettre en place un cadre réglementaire efficace et utiliser les revenus miniers pour diversifier l’économie.
Les revenus miniers : une réalité à nuancer
Simandou devrait entrer en exploitation d’ici fin 2025. À pleine capacité, il pourrait produire 120 millions de tonnes de minerai de fer par an, soit environ 3 % de la production mondiale. Même en supposant que la mine atteigne cette capacité dès la première année (ce qui est peu probable), il est évident que la Guinée ne deviendra pas un acteur majeur sur le marché mondial du minerai de fer.
Avec un prix international du minerai de fer avoisinant 90 dollars la tonne et des investissements initiaux estimés à plus de 20 milliards de dollars, le retour sur investissement (ROI) sera lent, retardant les bénéfices pour la Guinée en termes de dividendes et de recettes fiscales. À cela s’ajoutent les récents tarifs imposés par le gouvernement américain sur les importations d’acier, le plus grand marché au monde en dehors de la Chine qui pourraient encore faire baisser la production mondiale et les prix. Compter sur Simandou comme pierre angulaire du développement national est donc une stratégie risquée, d’autant plus que les revenus générés ne suffiront pas à sortir de la pauvreté les 47 % de Guinéens vivant au-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1,6 euro par jour et par personne.
Vers une stratégie de développement holistique
On évoque fréquemment le « Programme Simandou 2040 », présenté comme une stratégie de développement pour la Guinée à l’horizon 2040. Cette approche est inédite, car il est rare qu’une stratégie de développement porte un label aussi distinctif, surtout lorsque son financement ne repose pas uniquement sur les revenus de l’exploitation minière. Il est donc essentiel d’éviter toute confusion : un programme de développement ne peut se fonder exclusivement sur l’exportation de ressources naturelles, encore moins sur la vente de minerai brut. L’histoire montre que les pays dépendants des exportations de matières premières sont souvent victimes de la « malédiction des ressources », caractérisée par l’instabilité économique, la corruption et les inégalités. Une vision durable exige la transformation locale des matières premières, la diversification économique et des investissements stratégiques dans les infrastructures, l’agriculture, l’industrie et le capital humain, moteurs de création d’emplois et de réduction de la pauvreté.
Bien que Simandou représente une opportunité à long terme, son histoire complexe et ses nombreux défis imposent une approche prudente. La Guinée doit adopter une stratégie de développement équilibrée, diversifier ses sources de financement, explorer d’autres secteurs, renforcer les partenariats internationaux et améliorer la mobilisation des ressources locales. Une planification réaliste, évitant une dépendance excessive aux revenus futurs de Simandou, est essentielle.
L’histoire de Simandou et du Mont Nimba illustre les défis et opportunités liés aux grands projets miniers. Si de nombreux professionnels guinéens ont pris leur retraite sans voir ces projets aboutir, l’espoir demeure pour la prochaine génération. En surmontant les obstacles qui ont retardé leur mise en œuvre et en créant des opportunités pour les talents locaux, la Guinée peut exploiter pleinement son potentiel minier et construire un avenir meilleur pour sa population. Le rêve de Simandou et du Mont Nimba reste vivant et, avec les bonnes stratégies, il peut devenir une réalité pour les générations futures.