Alphonse Charles Wright, ancien Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, s’est quelque peu éloigné du débat public. Sans pour autant totalement disparaître des radars. Sa dernière sortie était liée au débat sur la légalité de sa présence, en qualité de magistrat, dans des mouvements de soutien de la candidature du Général Mamadi Doumbouya à la future présidentielle. Dans cette 1ère partie de l’interview à bâtons rompus qu’il a accordée au Groupe Allure (Allure Mag et Allureinfo.net), Alphonse Charles Wright aborde sans tabou l’ensemble des sujets qui ont marqué son passage au département de la justice Cela va de son bilan, aux causes de la dissolution du gouvernement auquel il a appartenu, ses embrouilles avec le chef du gouvernement d’alors, les reformes judiciaires. Rien n’est laissé pour compte.
La première partie de cet entretien va se focaliser essentiellement sur ce que l’ancien Garde des sceaux pense avoir laissé en héritage au secteur de la justice guinéenne, dont il a été durant plusieurs mois le porteur des reformes, parfois impopulaires.

Allure Mag : Depuis votre départ du gouvernement, on ne vous entend pas beaucoup. Qu’est-ce que M. Alphonse Charles Wright devient ?
Alphonse Charles Wright : Je vous remercie pour cet intérêt vis-à-vis de ma personne. Mais pour répondre à votre question, M. Charles Wright est actuellement dans ses activités de recherche littéraire.
Depuis mon départ du gouvernement, je me suis dit qu’il serait très important de continuer la formation, tout en mettant à l’écriture. Et très prochainement, je bouclerai deux romans. Et accessoirement, je participe aux côtés des anciens membres du gouvernement, aux activités d’accompagnement de Monsieur le Président de la République pour soutenir sa vision pour notre pays. C’est ce que je fais pour l’instant.
Au Ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, vous avez porté plusieurs réformes, dont certaines ont d’ailleurs été qualifiées de courageuses. Quand vous regardez dans le rétroviseur, vous avez un sentiment du devoir accompli ou un goût d’inachevé ?
D’abord, il faut retenir que les fonctions ministérielles ne sont pas des fonctions permanentes ou à vie. Mais ce qui est important, au moment où on vous donne l’opportunité de servir votre pays, à quelque niveau administratif que ce soit, il faut poser des actes qui vont dans le sens d’améliorer votre secteur. Avant d’être ministre, j’ai été d’abord nommé au poste de Procureur général près de la Cour d’appel de Conakry, avec pour mission de coordonner les activités des parquets d’instance, aussi surveiller les activités des officiers de police judiciaire. A l’époque, vous savez comment étaient les services de police et de la gendarmerie. Il a fallu mener « un combat » pour le respect de la légalité. Ce n’était pas facile, mais on avait réussi quand même à instaurer l’ordre et la discipline dans le secteur. Parce que ce qui lie un officier de police judiciaire et un magistrat du Parquet, c’est le respect de la loi et du code de procédure pénale.
Par la suite, le Président de la République m’a donné l’opportunité d’être nommé, dans un premier temps, comme ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, et un peu plus tard, il m’a élevé au rang de Ministre d’Etat. Je me dis que la mission pour laquelle j’ai été placé à la tête du Parquet, elle est loin d’être terminée. Mon bilan au département de la Justice a été le résultat d’un travail inclusif, grâce à une interaction avec tous les cadres, sur des questions à la fois opérationnelles et de réformes.
Après un temps de pause et de reprise, je me rends compte que ces réformes sont lentes, les besoins se font sentir. Et il est important de dire qu’il faut continuer, parce que c’est ce que le Président de la République a toujours voulu pour l’institution judiciaire. Il faut continuer et ne pas s’arrêter. Je crois que pour répondre à votre question, il y a encore beaucoup de choses à faire dans le secteur de la justice. C’est avec l’ensemble des acteurs de cette justice, que ces réformes doivent être menées.
Il y a d’ailleurs beaucoup à faire par rapport à l’organisation judiciaire de notre pays. Il y a eu de nouvelles juridictions, notamment la Cour de Répression des Infractions Economiques et Financières (CRIEF), qui n’est pas encore indiquée dans la loi portant Organisation judiciaire de notre pays. Vous avez aussi la spécialisation des magistrats et l’avancement de leur carrière. Il y a aussi la poursuite des chantiers de construction des infrastructures pénitentiaires et judiciaires.
Quand je regarde aujourd’hui les tribunaux à l’intérieur du pays et dans la zone de Conakry et du Grand-Conakry, il est important d’accélérer les travaux pour que les magistrats soient mis dans les conditions matérielles nécessaires. Il faut donc continuer les réformes.

Aujourd’hui, y-a-t-il une réforme ou un acte quelconque que vous auriez aimé avoir mis en œuvre, mais que vous avez peut-être omis ou que vous n’avez pas eu le temps de faire ?
Tout bon manager doit faire ce qu’on appelle un ‘’plan opérationnel’’. Où voulez-vous aller ? Quelle direction vous voulez donner à vos actions ? Vous identifiez les points de réforme, vous quantifiez les moyens qu’il faut pour les atteindre, mais en même temps vous procédez à ce qu’on appelle la planification. Tout est question de priorité au niveau de la justice. Quand je suis venu, je me souviens, ma première mission, c’était de faire en sorte, comme le Président m’avait instruit, d’organiser le procès des événements du 28 septembre 2009, après combien d’années d’attente des victimes. Il fallait donc l’organiser dans un délai record.
Le niveau d’avancement de la construction du siège du tribunal ne permettait pas de tenir le procès dans un délai court. Mais avec la volonté de l’ensemble des cadres, mon engagement personnel et l’accompagnement de Monsieur le Président de la République et l’ensemble des membres du gouvernement, on a pu quand même organiser ce procès dans les conditions que tout le peuple de Guinée connaît. Mais au-delà, il y avait des questions d’infrastructures judiciaires et pénitentiaires. L’avantage que j’ai eu, c’est que j’ai été nommé dans un secteur dont je suis un des acteurs, en tant que magistrat. Je connais bien les problèmes auxquels est confronté le secteur de la justice pour avoir occupé les fonctions de juge d’instruction, de juge, de président du tribunal, de procureur général. Je savais à peu près, à tout point de vue, quels étaient les problèmes auxquels le corps de la magistrature était confronté.
Donc, il fallait d’abord faire ce qu’on appelle la rénovation des juridictions. On en a fait au niveau du tribunal de Kaloum qui a deux salles d’audience aujourd’hui, en optimisant les conditions de travail. Vous avez vu la Cour d’appel avec des salles climatisées. On s’est quand même battu pour améliorer les conditions de travail des magistrats, mais on ne s’est pas limité à ça. Il fallait penser à cette population que beaucoup ne voient pas et dont beaucoup ne parlent pas, c’est la population carcérale. Les gens qui sont entre les quatre murs des différentes prisons du pays, que beaucoup ne voient pas parce qu’ils sont dans un milieu fermé, qui vivent souvent des réalités difficiles liées à la santé, à l’alimentation, mais auxquelles personne ne s’est intéressé. On les a « considérées » comme les personnes oubliées de la République. Or, quel que soit le degré du crime ou le délit qu’une personne ou un citoyen commettrait, l’État a des obligations vis-à-vis de ce citoyen, c’est-à-dire lui permettre d’accéder à une justice impartiale, d’être détenu dans des conditions qui respectent la dignité humaine. Parce que ce sont nos engagements internationaux. On a quand même réussi à entreprendre des travaux de rénovation et d’extension de la Maison centrale de Conakry.
Qu’avez-vous réalisé en termes de travaux à l’intérieur du pays aussi ?
Il y a des bâtiments à l’intérieur qu’il faut encore continuer à rénover pour pouvoir bâtir d’autres structures sanitaires, et beaucoup d’autres choses à l’intérieur, parce que ce sont des humains qui y vivent comme nous. Nous avons des problèmes de santé et d’autres difficultés encore. Et sur les instructions de Monsieur le Président de la République, il m’a été demandé de faire en sorte que, lorsqu’un détenu tombe malade, qu’on ait quand même une ligne permettant de faire la prise en charge de ces différents cas de maladie. C’est ce que nous avons mis en place également. Ce qui fait que, quand un détenu est malade, aussitôt je suis informé par le directeur de l’administration pénitentiaire à l’époque. Je prenais tout de suite les dispositions pour la transmission de ces personnes-là dans les hôpitaux permettant leur prise en charge. Cela nous a permis de créer cette ligne et de doter les établissements pénitentiaires en médicaments. Au-delà, les problèmes alimentaires étaient devenus beaucoup plus récurrents, parce qu’il y avait des sociétés de prestations de services qui ont eu des contrats qui datent de plus de 20 à 25 ans avec le département de la justice, et qui n’ont jamais respecté les termes de ces cahiers des charges.
Vous savez, quelqu’un qui est détenu peut souffrir d’une maladie nécessitant une alimentation spéciale. Quelqu’un qui souffre de la tension, qui souffre d’une maladie, si on doit lui imposer ainsi un régime alimentaire incompatible à son état de santé, cela pourrait encore être une cause d’aggravation de sa maladie. Donc, on a essayé de revoir quelque peu les éléments factuels que contenaient ces cahiers des charges, notamment en recommandant de donner trois rations alimentaires aux détenus. Il fallait aussi faire ce qu’on appelle la variation alimentaire du point de vue de la préparation, en mettant en place un comité de dégustation composé de représentants du détenu, du régisseur et de l’administration pénitentiaire. Tout ceci pour montrer que l’instruction qui a été donnée au Ministre par le président de la République a été respectée, à travers un contrôle rigoureux de la qualité de ce que les prisonniers consomment. Donc, ils se sont vus quand même respectés dans leurs droits.
Si vous prenez le cas de Fria, durant combien d’années les prisonniers étaient enfermés 24 heures sur 24 heures, sans avoir la possibilité d’un espace où ils pouvaient prendre de l’air, parce qu’il n’y avait même pas une cour d’enceinte. On a pu quand même, en un temps record, trouver de quoi aménager cette prison. Je suis très content de constater que les prisonniers arrivent à sortir de leur cellule et que tout ça leur donne un environnement favorisant leur bien-être. Du côté de Boffa, c’était la même situation. C’était presque un bâtiment en ruine, mais nous avons pu le rénover avec les moyens du bord. A Coyah, je me souviens que quand j’étais Procureur général, il y avait des cas de décès récurrents. Mais, tous les décès qui étaient constatés au niveau de la prison civile de Coyah étaient dus aux problèmes respiratoires. Parce qu’il y a un espace très restreint avec de nombreux prisonniers entassés. Ce qui était choquant, c’est qu’il n’y avait même pas des cellules distinctes pour les hommes et les femmes. Ils étaient tous dans un même bâtiment. Même si quelque part, il y avait un compartiment qui les séparait, mais ils étaient tous dans le même bâtiment.
En plus, il y avait des femmes détenues qui sont restées en prison pendant des années. Elles n’ont jamais connu un procès. On a pu organiser des affaires criminelles sur toute l’étendue du territoire, histoire de permettre à ces personnes de se défendre devant des juridictions, afin que leurs cas soient examinés de façon à ce qu’elles soient situées sur leurs sorts. Vous avez des détenus qui sont restés pendant 20 ans sans procès, parce que, tout simplement, ils ont perdu leur dossier judiciaire suite à des mouvements des magistrats. Aujourd’hui, c’est un magistrat qui gère le dossier. Suite à un décret, il y a un autre qui prend le relais. Et finalement, on ne sait plus à qui se fier. Donc, on a eu à gérer plusieurs cas similaires.
Mais ce qui m’a beaucoup marqué, c’est surtout le cas de Macenta. Depuis les événements de 2008, il y a eu des cas de vandalisme. Nous sommes allés nous-mêmes sur le terrain. Parmi les constats, il y a le fait que le rapport que l’Inspection générale des services judiciaires ne traduisait pas en réalité ce qui s’est passé sur le terrain. Ce qui était vraiment déplorable. Pour preuve, à Macenta, il n’y avait pas de prison dans les locaux de la gendarmerie et de la police. Les gens étaient entassés et mis dans des conditions qui les poussent à payer de l’argent. Il y avait une cellule où on a trouvé une femme complètement paralysée. Elle était à bout de souffle. Quand j’ai demandé à ce qu’elle soit transportée à l’hôpital, elle est décédée en cours de route. Quand vous êtes à ce niveau de responsabilité, il y a des choses que beaucoup ne voient pas et ne comprendront jamais, parce qu’ils ne voient pas ce que vous avez la chance de voir. J’ai demandé à l’époque à ce qu’on ne quitte pas Macenta, sans avoir trouvé ce qu’on appelle une infrastructure d’urgence de 100 places pour favoriser des conditions de détention qui respectent la dignité humaine.
Ce constat m’a permis, avec les cadres techniques qui étaient dans ma délégation, de mettre en place un plan d’urgence pour commencer les travaux de construction d’une prison. Aujourd’hui, j’ai pu laisser pour Macenta une prison de 100 places qui doit être équipée. Puisque je ne suis plus au département, je ne sais pas ce qu’il en est, mais je vais vous dire que je n’ai pas voulu être ce Ministre qui vient constater, mais plutôt celui qui est concret, qui va tout droit vers des solutions.

Au-delà des infrastructures, il y a aussi les conditions internes de détention. L’accès à l’eau potable par exemple.
On avait signé des contrats pour qu’il y ait l’adduction d’eau potable dans toutes les prisons. C’est extrêmement important, parce que quiconque parle de la détention, doit parler des questions de salubrité. Quand je quittais, ces contrats étaient déjà confiés à une société qui devait terminer dans un délai raisonnable ces différents points d’adduction d’eau potable. Par ailleurs, nous avons initié un programme d’activités récréatives et sportives, qui a été vivement critiqué, parce que beaucoup ne savent pas qu’un être humain qui est en détention, l’ensemble de ses droits sont maintenus, sauf ceux d’aller et de venir. Mais tous les autres droits en tant qu’être humain, on doit les respecter. Et qui doit le faire ? En première ligne, c’est le Ministre en charge des questions des droits de l’homme. Donc à l’époque, les gens l’ont dit mais moi, je sais que lorsque vous voulez mener une réforme, vous devez avoir une démarche de sensibilisation et d’explication. Quand vous regardez dans les prisons à l’étranger, les prisonniers ont quand même cette possibilité de faire du sport. Donc, si nous avons eu à le faire, ce n’est pas dans le cadre d’imiter qui que ce soit. Mais cela fait partie du respect de leurs droits. Et le droit au bien-être, c’est un droit reconnu à tout être humain. On ne peut pas leur occulter cela.
Nous avons aussi accentué nos efforts sur la formation continue des magistrats. Vous pouvez faire vos propres recherches et investigations. Nous avons pu organiser plusieurs formations à l’intention des magistrats, sur des questions spéciales, notamment celles relatives à la traite des personnes. Nous avons ouvert une cellule de lutte contre la traite des personnes au niveau du département de la justice qui va s’occuper de ces questions.
Cela a permis à la Guinée de rejoindre les nations qui sont en première ligne de la lutte contre cette matière qui est devenue aujourd’hui monnaie courante dans la sous-région, dans la région et pourquoi pas à travers le monde. Donc, les magistrats ont bénéficié de plusieurs formations continues. Au-delà, dans le cadre du rajeunissement de l’appareil judiciaire, nous avons recruté 100 magistrats et 100 élèves greffiers.
Contrairement aux années précédentes où on ne pouvait recruter que 50, (25-25), on a pu avec, bien entendu, l’appui du Président de la République, aller vers ce nombre important d’auditeurs judiciaires. Et ce qui était important encore, c’est qu’à la différence des autres pays où il y a une école de la magistrature, notre pays n’a pas véritablement aujourd’hui à envier ces écoles, parce que, sur les instructions du Président de la République, nous avons pu quand même terminer les travaux du Centre de formation judiciaire, qui étaient bloqués. On a équipé les lieux. Ce qui nous a permis d’accueillir ces auditeurs élèves greffiers. Et tout cela dans le cadre de pouvoir donner à notre justice tous les moyens.
A suivre !
Interview réalisée par Emmanuel Millimono