À l’occasion de la fête de Tabaski, les populations de Kankan perpétuent chaque année une tradition culturelle emblématique : la Mamaya. Mais derrière le caractère festif et l’engouement populaire que suscite cet événement, les origines profondes, l’évolution historique et la dimension sociale de cette danse restent largement méconnues du grand public.
Il y a un an, à la veille de la Tabaski, Mosaiqueguinee réalisait un entretien exclusif avec Elhadj Mohamed Lamine Kaba, plus connu sous le nom de Ringo, président de la coordination des Sèdès et conseiller auprès de la notabilité de Kankan. Dans cette interview, il revenait avec précision sur l’histoire de la Mamaya et son enracinement dans la culture du Nabayah.
Dès l’entame, Ringo soulignait que chaque région de Guinée s’identifie à une expression culturelle propre, et que Kankan s’identifie à la Mamaya, véritable symbole de l’authenticité locale. Il définissait la Mamaya comme une danse folklorique née aux alentours de 1936-1937, mais qui ne s’est réellement imposée dans le paysage culturel qu’en 1945, en pleine Seconde Guerre mondiale.
« C’est une danse populaire portée par des artistes émérites, notamment la grande famille artistique de Sididou, connue pour ses figures telles qu’Oumou Diabaté, Djanka Diabaté, Missiasaran, et les 22 bandes, entre autres. Cette famille a fortement contribué à la vulgarisation de la Mamaya », expliquait-il.
Concernant ses origines géographiques, Ringo précisait que cette danse a vu le jour à Bamako (Mali), en 1936, sous le nom de Bondon. Elle fut introduite à Kankan par des jeunes voyageurs, dont Elhadj Sékou Bayo et Elhadj Frantoma Camara. À cette époque, la Mamaya n’était pas bien perçue dans une ville à forte identité religieuse comme Kankan. Les notables s’opposaient à l’introduction de cette danse, notamment en raison des tambours et instruments perçus comme profanes.
Mais les jeunes, tenaces, finirent par convaincre les sages grâce à l’intervention d’un médiateur clé : Elhadj Dandjo Youssouf Komara, qui réussit à obtenir l’acceptation de la notabilité sous certaines conditions : respect des prières et protection des femmes.
C’est alors qu’un cuisinier malien, travaillant pour un colon blanc et membre d’un groupe utilisant un instrument appelé Bada, s’est joint aux jeunes. Avec l’appui des gnamakalas (bienfaiteurs pacificateurs) et de la famille Sididou, ils ont intégré des instruments et danses traditionnels, créant ainsi une cohabitation culturelle guinéo-malienne, à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui la Mamaya.
Sur la question du nom même de Mamaya, Ringo a partagé une anecdote. En 1945, lors de répétitions chez la famille Sididou, une femme prénommée Mama se serait plainte de ne jamais entendre son nom dans les chants. Quelqu’un aurait alors lancé l’expression « Mama fanan yéyan » (Mama aussi est là, en maninka), qui, par déformation linguistique, serait devenue Mamaya.
En ce qui concerne l’association actuelle de la Mamaya à la fête de Tabaski, Ringo expliquait qu’à l’origine, cette danse n’était pas liée à cette fête musulmane. C’est seulement à partir de 1999 que le lien s’est établi, notamment à l’initiative de leur Sèdè Doudiaya. À cette époque, leur camarade d’âge avait été choisi comme marraine de la Mamaya dans un village à 7 km de Kankan. Cette occasion a été le déclic pour organiser la Mamaya à Kankan à chaque Tabaski.
« Nous avons estimé qu’il était tout à fait logique de célébrer la Mamaya dans sa ville d’origine, surtout à un moment aussi propice que la Tabaski, où les familles se retrouvent pour discuter et célébrer ensemble », confiait-il.
Cet article publié par Mosaiqueguinee met en lumière l’histoire riche et méconnue d’un pan important du patrimoine culturel guinéen. Grâce aux précisions de Ringo, la Mamaya révèle toute sa profondeur historique et sa valeur identitaire pour les populations du Nabayah.
Mohamed Béné Barry, Morlaye Damba, Sory Kandia Bangoura