Alors que les travaux de construction de l’autoroute de Kankan avancent, le témoignage d’une victime des déguerpissements a particulièrement attiré notre attention. Ce témoignage c’est celle d’une femme ayant requis l’anonymat. Malgré ses documents en règle et des mois de démarches, elle n’a toujours pas été indemnisée. Son récit, livré avec amertume, reflète une grande frustration.
« Il y a eu 2 casses. Pour la première fois, c’était au mois de 2004. Bien avant les casses, ils sont venus mettre les croix rouges sur les bâtiments. Ils étaient avec le chef de quartier qui était en train de sensibiliser les gens de ne pas créer des problèmes, qu’ils vont dédommager les gens avant les casses. Mais malheureusement, c’est le contraire qui s’est passé. Ils ont mis les croix sur nos maisons et ont invité les gens à la maison des jeunes pour les informer qu’ils vont casser d’abord avant de dédommager. Ensuite, ils ont cassé. Mais au moment où ils mettaient les croix rouges, ils avaient demandé aux gens de préparer les papiers qui justifient l’appartenance.
Comme je l’ai dit, je n’étais pas là, mais quand je suis revenue, j’ai envoyé mes documents. Il y avait une mission qui était venue de Conakry pour dédommager les gens, tout semblait officiel, il n’y avait pas de flou. J’ai eu confiance. À mon tour, je suis allée voir la mission pour mon dédommagement. Quand j’ai montré mes papiers et les références, ils ont regardé dans le registre où ils avaient une liste. Devant mon nom, j’ai vu qu’il y avait un montant, mais dérisoire. Ce que j’ai remarqué, c’est qu’ils n’ont même pas pris le temps de vérifier mes dossiers. Le registre était déjà rempli avec le montant qu’eux-mêmes avaient décidé de me donner. C’est ainsi que je leur ai dit que le montant ne correspondait pas à mes investissements. Ils m’ont ensuite dit que je pouvais aller revendiquer à Conakry, mais sans me dire auprès de quelle entité ou quel service.
C’est ainsi que je suis allée à Conakry. Avec mes connaissances, on m’a dit que c’est au Ministre de l’Urbanisme qu’il faut aller. J’ai donc déposé mes documents là-bas. J’y ai fait presque 6 mois en train de faire des va-et-vient. Finalement, ils m’ont demandé de payer une mission pour venir revoir les choses. Dans un premier temps, ils m’ont dit que les frais de la mission étaient de 12 millions GNF. Je ne comprenais pas comment c’est à moi de payer les frais de la mission. Pire, ils m’ont dit que je ne pouvais pas les accompagner. De négociations en négociations, ils ont accepté que je paie 6 millions. Quand ils sont venus, mon candidat m’a appelée. Les travailleurs m’ont aussi confirmé ce jour-là qu’ils étaient sur le terrain. Après 2 à 3 jours de mission, ils sont repartis à Conakry et m’ont dit que ça allait aller. J’ai demandé comment j’allais faire maintenant. Ils m’ont dit que c’est à Kankan que mon argent sera payé. C’est ainsi que je suis revenue sans avoir les copies des documents qu’ils m’ont montrés avec des signatures. Mais après mon arrivée à Kankan, après 2 mois, je les ai appelés. Ils m’ont encore dit de rester à l’écoute. Je me suis retournée à Conakry récemment. Ils ont appelé, devant moi, quelqu’un ici qui a confirmé que mon argent sera payé bientôt, que des réunions ont été tenues dans ce sens. J’ai alors pris le numéro de celui-ci avant de revenir à Kankan. Quand je suis revenue, j’ai appelé le monsieur qui m’a alors dit que le problème était encore bloqué au ministère de l’Économie et des Finances. Depuis là, je n’ai pas eu mon argent et je ne sais pas à quel saint me vouer.
Au début, c’est une partie qu’ils avaient dégagée en mai 2024. Ce premier dégagement a concerné une boîte de nuit, 3 loges plein air, un puits amélioré, un espace vert, un podium, la moitié de la cour. Pourtant, pour ce terrain-ci, j’ai un titre foncier délivré par l’État. Quand ils ont fait ça, j’ai pris le soin de reconstruire la partie qu’ils avaient laissée. J’ai pratiquement vendu un terrain que j’avais à Conakry pour cela.
Ce que je n’ai pas aimé dans cette histoire, c’est qu’ils auraient pu nous dire de ne plus refaire quelque chose, même sur la partie non touchée. Non seulement je n’ai pas eu mon argent lors de la première casse, mais j’ai aussi perdu mes biens et tout ce que j’ai investi sur la partie non touchée. Quand j’ai revendu mon terrain à Conakry, je suis venue refaire la maison plus que celle qui était sur la partie cassée. Pour la deuxième casse, on ne nous a même pas avertis. J’étais en train de courir derrière mon argent. Heureusement que j’étais à Kankan, puisque les enfants m’avaient demandé de venir organiser la fête de Tabaski avec eux. J’ai été informée une heure avant le passage de la machine. Je n’ai pu sauver que quelques objets. Je n’ai pas eu mon argent pour la première casse, voilà qu’ils sont venus détruire tout. J’ai tous les documents, tout est au complet. Je ne comprends pas pourquoi je n’ai pas été dédommagée. J’apprends que d’autres qui n’avaient que des taudis ou des hangars, ont eu plus que moi. Il y a des gens qui ont eu jusqu’à 500 millions, jusqu’à près d’un milliard de francs guinéens ».
Ce témoignage met en lumière le flou administratif, les injustices présumées dans l’attribution des indemnisations, et le désarroi des populations touchées. Alors que les autorités continuent d’exhorter les citoyens à coopérer, cette victime demande plus de transparence et une justice équitable dans le traitement de son cas ».
Mohamed Béné Barry, Sory Kandia Bangoura, Morlaye Damba