EDITORIAL – Les coupes budgétaires de Donald Trump jettent des milliers de chercheurs américains sur le carreau. Une opportunité inédite pour la France, où les postes vacants ne manquent pas. Mais entre un système de recherche sous-financé, un crédit d’impôt raboté et une bureaucratie tenace, l’Hexagone risque bien de transformer cet afflux potentiel de talents… en mirage.
De l’autre côté de l’Atlantique, des milliers de chercheurs sur le carreau, licenciés, privés de financement, en raison des coupes budgétaires de Donald Trump. Et en France, dans les universités, les laboratoires, des centaines de postes de chercheurs vacants. Comment ne pas se saisir de cette opportunité ? Le climat est d’autant plus propice qu’entre les deux pays, les organismes de recherche ont noué des liens étroits. Problème : l’Enseignement supérieur souffre déjà de restrictions budgétaires et la loi de finances 2025 vient de lui retirer 1 milliard d’euros de subventions. Quant au système très attractif du crédit d’impôt recherche, il a lui aussi été raboté. L’idée d’Emmanuel Macron de proposer un programme spécifique pour accueillir les cerveaux américains, et booster la recherche française, est judicieuse. Cette initiative va d’ailleurs dans le droit fil de son ambition de faire de la France une « start-up nation ». Encore faut-il trouver l’argent.
Et supposons que cette condition soit remplie, est-ce que cela suffirait à provoquer une vague migratoire significative des meilleurs cerveaux américains ? Déjà, en 2017, lorsque Donald Trump s’était retiré de l’Accord de Paris sur le climat, le président de la République avait réagi en lançant son « Make our Planet Great Again », assorti d’un plan à 30, puis 60 millions pour faire venir les chercheurs américains en France. In fine, l’opération n’avait permis d’attirer que 43 scientifiques américains car, en dépit des fonds débloqués, le système français manque singulièrement d’attractivité pour des grandes pointures de la science.
Les milieux de la recherche américains remontés contre Trump
Le succès de la recherche et de l’innovation aux Etats-Unis repose sur tout un écosystème : gros budgets, publics mais surtout privés, interaction entre les deux sphères, pléthore de fonds prêts à financer des projets sur le long terme et goût du risque. Quand en France les doctorants-start-uppeurs se heurtent à la bureaucratie et sont bien souvent confrontés à ce qu’ils appellent « la vallée de la mort », le moment où il faut rassembler les fonds nécessaires pour passer de l’expérimentation à la phase d’industrialisation. A cela s’ajoute la question de la faible rémunération des chercheurs en France.
Alors, certes, la situation n’est pas la même qu’en 2017. Cette fois, les dégâts sont considérables. Et les milieux de la recherche publique américains, plutôt de gauche, sont particulièrement remontés contre la politique de Donald Trump. Ils sont nombreux à affirmer vouloir fuir ce qu’ils considèrent comme un début de dictature. Encore faut-il sauter le pas. D’autant plus que ceux qui travaillent dans les domaines stratégiques les plus en pointe continueront à bénéficier de financements privés. « Ceux qui sont célibataires, sans attaches, prêts à faire un sacrifice financier, et qui n’ont pas l’ambition de créer une start-up à court terme, peuvent être tentés de passer un peu de temps en France. Paris a des avantages », résume, un peu sarcastique, le gestionnaire d’un fonds d’investissement. Pas suffisant pour révolutionner notre écosystème, et booster ce qui manque le plus de ce côté de l’Atlantique, en dehors de l’argent : le goût du risque. Même si, en France, l’esprit d’entreprise a considérablement progressé.