La République de Guinée traverse une crise de liquidité d’une ampleur inédite, désormais reconnue par les plus hautes autorités. Le Premier ministre, Amadou Oury Bah a récemment admis publiquement, l’ampleur de la situation, annonçant l’ouverture prochaine de concertations avec les acteurs économiques et financiers. Pourtant, cette débâcle était prévisible. Dès octobre 2023, l’économiste Abdoulaye Guirassy en formulait les contours avec une rare lucidité, lors de son premier passage dans l’émission Mirador sur FIM FM.
Invité le 5 octobre 2023, il déclarait : « Le risque d’un tarissement progressif de la liquidité bancaire est réel. En cherchant à financer son déficit à court terme, l’État hypothèque l’équilibre monétaire national. »
Il évoquait alors un mécanisme jugé légal, mais lourd de conséquences : le financement du budget public par une baisse forcée des réserves obligatoires des banques commerciales, abaissées de 15 % à 13 %.
Selon lui, cette mesure ne relevait pas d’un simple ajustement monétaire : « Ce n’est pas une décision autonome de politique monétaire, mais le fruit d’une pression conjointe du gouvernement et des banques. » Il poursuivait : « On détourne ici un outil de régulation monétaire à des fins budgétaires, ce qui met en péril l’indépendance même de la Banque centrale. »
Aujourd’hui, la tension sur la trésorerie de l’État guinéen est palpable. Les recettes douanières en baisse, les dépenses publiques en hausse – notamment liées à de nombreux projets d’infrastructures et la dépendance à des mécanismes internes de financement, rendent l’économie nationale particulièrement vulnérable.
Les propos d’Abdoulaye Guirassy prennent aujourd’hui une résonance dramatique : « Cette opération étouffe la capacité des banques à financer l’économie réelle. En raréfiant le crédit, on affaiblit le tissu productif. »
Il mettait également en garde contre les dérives inflationnistes : « La pression sur la monnaie nationale augmentera, dans un contexte où la fiscalité reste faible et peu structurée. »
Son analyse se voulait alarmiste, mais fondée : « C’est un montage légal, certes, mais dangereux. On crée une illusion de stabilité financière alors qu’on entretient un déséquilibre profond.»
Il allait jusqu’à qualifier le modèle économique en place d’artificiel : « Nous sommes face à une économie sous perfusion, menacée par une instabilité budgétaire persistante. »
Deux ans après ces mises en garde, les faits lui donnent malheureusement raison. La Banque centrale de la République de Guinée, fragilisée, voit son autonomie remise en question. Les banques commerciales, privées de marges de manœuvre, peinent à répondre aux besoins du secteur privé. Quant à l’État, il se retrouve dans une impasse, contraint d’ouvrir des discussions d’urgence pour éviter un effondrement plus large.
Face à cette réalité, les avertissements d’Abdoulaye Guirassy apparaissent aujourd’hui comme une lecture lucide et visionnaire des dérives financières de l’équipe qui conduit la transition.
Décryptage Amadou Diallo